Trop dangereux !
Le gouvernement Vivaldi (VLD-MR-PS-Vooruit-Groen/ECOLO) veut négocier d’ici la fin de l’année une prolongation de deux réacteurs nucléaires jusqu’en 2036. Nous allons montrer dans cette contribution que la prolongation de deux réacteurs est superflue, selon un rapport de la CREG (note 6). Et qu’il ne faut même pas construire deux nouvelles centrales à gaz sans prolonger le nucléaire.
Le danger que les populations dans le grand voisinage des centrales courent est devenu inacceptable à cause des changements dans l’environnement des réacteurs (zone du port d’Anvers, aéroport de Bierset), de l’incapacité de l’AFCN à contrôler le nucléaire et du vieillissement des installations elles-mêmes : bâtiments non-étanche, vieillissement de l’informatique, disparition des fournisseurs, perte du know-how, départ et vieillissement du personnel qualifié.
Tout est dangereux ?
Les partisans du nucléaire vont noyer le poisson du risque nucléaire en comparant les risques et les émissions à celles d’autres industries. Il y a, comme dans les arguments fallacieux qui marchent, une part de vérité dans cette affirmation. Le tout est de comparer les risques résiduels, les risques jugés acceptables à un moment donné par une société.
Il ne faut pas confondre risque et probabilité. Le risque est le produit de la probabilité qu’un accident arrive par l’impact de celui-ci. Un exemple connu de ce raisonnement : un assureur va déterminer votre prime d’assurance auto en regardant la probabilité que vous ayez un accident, via votre bonus-malus, et l’impact via le prix de votre voiture. La multiplication des deux facteurs lui permet de comparer votre risque au risque acceptable pour sa compagnie.
Il en va de même dans l’industrie nucléaire. Un risque résiduel subsiste lorsque toutes les précautions actuellement imaginables sont prises. Le mouvement antinucléaire a considérablement diminué le risque que notre société trouve acceptable, en s’emparant des accidents importants qui jalonnent l’histoire du nucléaire : Mayak (URSS 1957), Three Mile Island (USA‘79), Tchernobyl (Ukraine‘86), Fukushima (Japon 2011).
La règle d’or inscrite dans les textes de référence de l’industrie électronucléaire est de ne jamais augmenter le risque résiduel existant lors de la conception d’un réacteur : les modifications peuvent être réalisées à risque constant ou de préférence diminué, en tenant compte des connaissances et technologies au niveau de la date de l’intervention. Cela pose de graves problèmes pour la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs. Vu leur âge, ils ont été conçus à un moment où le risque résiduel acceptable était bien plus grand que celui jugé acceptable aujourd’hui, après les catastrophes. En outre, l’usure subie pendant les décennies d’exploitation augmente le risque de dysfonctionnement, qui dans cette technologie mène rapidement à la catastrophe.
Finalement, la catastrophe de Fukushima nous a appris que les risques ne venaient pas uniquement de l’intérieur mais qu’il y avait aussi des agressions venant de l’extérieur, le tsunami dans ce cas.
Le projet ENGIE/Vivaldi
Nous allons regarder les deux facteurs de risque pour le projet porté par ENGIE/Electrabel et Mme Van der Straeten, Ministre Groen/ECOLO du gouvernement Vivaldi.
L’impact
Jamais un réacteur ne peut être construit dans une région densément peuplée. Trois Etats ont transgressé cette règle en acceptant un impact énorme possible, donc un immense risque nucléaire même à probabilité réduite : la Corée du Sud, les Pays-Bas … et la Belgique. Le Japon a construit la centrale de Fukushima à 240 km de Tokyo, pour diminuer l’impact d’une catastrophe pourtant inimaginable. Doel est construit à 12 km de l’Hôtel de Ville anversois, Tihange dans la ville de Huy, près de Liège, Maastricht et Aachen. Une catastrophe à Doel affecterait 9 millions de personnes dans un rayon de 75 km, à Tihange 5 millions.
Le risque
Qui mieux pour estimer un risque qu’un assureur ? Le fait qu’aucun assureur n’est disposé à assurer davantage qu’une petite fraction du risque d’une centrale nucléaire est significatif comme le fait que votre police « incendie bâtiment » exclut également ce risque.
Pour diminuer le risque, le plus simple est dediminuer le nombre de réacteurs et donc la durée de leur exploitation.
M. Olivier Deleuze, secrétaire d’Etat ECOLO à l’énergie en 2003, a augmenté le risque de catastrophe nucléaire de 33%. Il avait déjà accordé le prolongement des réacteurs belges, conçus pour 30 ans, à 40 ans en échange de l’engagement d’ENGIE d’arrêter définitivement l’exploitation de tous les réacteurs en 2025 « sauf problème d’approvisionnement électrique »[1]. Problème d’approvisionnement qui apparaissait (ou était créé ?) au bon moment : raison invoquée pour prolonger à 50 ans les réacteurs de Doel 1, Doel 2 et Tihange 1, raccordés au réseau en 1975.
Les vieux réacteurs et les caduques
La prolongation de Doel 1 a manqué d’anéantir la Ville d’Anvers en avril 2018. Une rupture de canalisation dans la zone nucléaire a laissé échapper une vapeur radioactive qui fut heureusement contenue par le bâtiment du réacteur. M. Nollet, actuellement coprésident d’ECOLO, déclarait alors : « La centrale de Doel est périmée depuis 2015…. Aujourd’hui, cette vétusté devient carrément dangereuse. Il est urgent de fermer définitivement ces centrales périmées et de nous tourner vers les énergies durables, fiables et qui ne mettent pas la santé des citoyens en danger »[2]. Propos devenus amèrement d’actualité en 2022. La Cour Constitutionnelle[3] a depuis statué que la prolongation de Doel 1 et 2 était illégale, une enquête publique aurait dû intervenir avant le permis d’exploiter dix années supplémentaires. Une enquête publique fut entreprise après le jugement et durera probablement jusqu’à la date de fermeture prévue, période pendant laquelle la Cour permet l’exploitation.
Doel 1 et 2 ainsi que Tihange 1 font partie des réacteurs de la première génération. Ils se distinguent, entre autres faiblesses, par leur bâtiment de confinement à simple coque avec une doublure en acier. Les autres réacteurs du parc belge possèdent une double coque en béton armé. Les politiciens qui proposent de prolonger Tihange 1 sont encore plus irresponsables que les autres.
Mme Van der Straeten était une excellente avocate avant de devenir ministre. Elle a plaidé avec beaucoup de conviction la fermeture de Tihange 2, à la demande de 90 villes et communes allemandes et néerlandaises. Elle connaît parfaitement l’état lamentable de la paroi de la cuve à haute pression des réacteurs Tihange 2 et Doel 3, affaiblie par de nombreuses failles. Cette situation a été dénoncée par le mouvement antinucléaire à tel point que même ENGIE ne propose pas de prolonger ces deux réacteurs caducs. Mme Van der Straeten fait preuve d’un laxisme criminel en permettant encore l’exploitation de ces deux réacteurs. Chaque journée, chaque seconde d’exploitation expose les habitants à une irradiation irréversible.
Négocier d’égal à égal la prolongation
Avant de parler des 2 réacteurs restants, relevons d’abord l’étrange situation : nous observons actuellement un état riche et industrialisé comme la Belgique qui négocie avec une firme privée sur un pied d’égalité. On se croirait plutôt dans une république bananière qui négocie avec la United Fruit ! L’Etat belge s’est écarté dangereusement du précepte que l’Etat doit avant tout garantir l’intérêt général en premier lieu la sécurité de ses citoyen.nes, ce qui lui donne le droit d’imposer des choix politiques aux intérêts privés, même à ceux des grandes entreprises et de leurs actionnaires. Les politiciens libéraux, de toute couleur, préfèrent se plier aux exigences des méga entreprises.
L’embrouille du 21 juillet : ce gouvernement ment en annonçant un accord de principe avec ENGIE. La Compagnie a seulement remis une lettre d’intention non contraignante déclare-t-elle. Le roi est nu. Cela signifie que ENGIE va entamer la suite des discussions sans aucune obligation : on devine que la firme étalera sa liste de conditions tel un rouleau de PQ : réductions des mesures de sécurité, réduction de l’enquête publique, diminution de la charge financière des déchets, implication économique de l’Etat dans les centrales…
Selon la Libre Belgique[4] les négociations commencent pour arriver à un accord solide au 1.1.23. Que contiendrait la lettre d’intention non-contraignante remise par ENGIE ?
ENGIE avait annoncé qu’il était impossible de redémarrer Tihange 3 et Doel 4 avant l’hiver 2026-27. C’était tout à fait plausible : en additionnant le temps nécessaire pour boucler la négociation, le débat parlementaire, une enquête publique sérieuse et les travaux qui ne peuvent évidemment commencer qu’après l’Etude d’Impact Environnemental (EIE), il faudra bien deux années, jusqu’au printemps 2027. Pourtant M. Saegeman aurait dit qu’il était possible de redémarrer avant le 1.11.2026. Ce n’est possible qu’en bâclant soit les travaux et les tests indispensables ou bien l’enquête et le débat parlementaire ou, probablement, les deux.
Qui va payer ? L’addition pour le stockage des déchets nucléaires, dont les barres de combustible usés, extrêmement radioactives pendant cent mille ans, est estimé à 41 milliards d’Euros actuellement. Tous les observateurs avisés estiment que ce sera encore plus cher. Pour provisionner ce montant, ENGIE/Electrabel a « mis de côté » 13 milliards dans sa filiale SYNATOM[5] qui prête cette somme à…. Electrabel. Ce n’est pas une solution fiable, Electrabel pourrait se scinder ou même disparaître.
L’Etat dispose pourtant d’une banque fiable dédiée à cette utilisation : la Caisse de Dépôts et de Consignements du ministère des Finances. Peu importe ? Pour que le gouvernement puisse obtenir la réouverture au 1.11.2026, ENGIE lui demande en échange de plafonner le montant prévu pour la gestion des déchets à 40 milliards ou moins. C’est acheter un chat dans un sac : personne ne dispose d’une solution pour le stockage à long terme des crasses du nucléaire. En outre, ni la quantité ni la qualité des déchets à l’horizon 2037 n’est connue. Toutes les solutions mises en œuvre ont lamentablement échoué par exemple Yucca Mountain (USA) ou la mine de Asse (Allemagne).
Mme Van der Straeten avait fait voter au Parlement[6]– à l’unanimité svp- le principe du pollueur-payeur. En pratique, ce sont les Arrêtés Ministériels qui vont déterminer ce qu’il en sera. Le texte en sera peut-être écrit sur la table des négociations secrètes ?
Tihange 3 et Doel 4
Qu’en est-il des deux réacteurs sur sept qui font l’objet de la discussion actuelle entre ENGIE et la Vivaldi ?
D’abord, la prolongation de leur exploitation n’est pas nécessaire, selon une étude très documentée de la CREG.[7]En fermant tous les réacteurs en 2025 au plus tard, il n’était même pas nécessaire de construire deux centrales à gaz supplémentaires. C’était avant la guerre. Mais la Belgique importait, pour sa consommation intérieure, seulement 6% du gaz de Russie. Evidemment, quand on envisage le commerce international du gaz et une croissance démesurée de l’industrie chimique, la perspective change.
Deux multinationales ont sans doute œuvré à la prolongation des deux réacteurs. ELIA qui se profile comme expert au-dessus de la mêlée en matière d’énergie, est une société multinationale cotée en Bourse. Fluxys, qui se profile comme un « gestionnaire indépendant » de la distribution gazière est cotée sur Euronext : multinationale également elle est implantée dans 8 pays européens et active également dans le sud global. Fluxys dispose à Zeebrugge et Dunkerque d’importantes installations de transit de gaz, qui n’ont aucun rapport avec la consommation intérieure mais bien avec les résultats financiers. Ce sont ces acteurs, soutenu par la grande industrie dont la soif croissante d’énergie est infinie, qui exercent une influence déterminante sur l’action gouvernementale. La prolongation des deux réacteurs n’a aucun lien avec l’agression russe contre l’Ukraine.
La prolongation est aussi trop dangereuse. Le risque, rappelons-le, ne peut augmenter par rapport au risque de conception. Pourtant, avant de regarder les problèmes internes, le risque augmenté par l’environnement des réacteurs saute aux yeux.
En effet, la centrale de Doel qui fut érigée en pleine campagne dans les années 1970 se trouve aujourd’hui entourée de l’énorme complexe chimique et pétrochimique de la zone portuaire anversoise[8]. Un accident important dans cette zone SEVESO aura immanquablement un impact sur la sécurité de la centrale.
A Tihange, l’environnement est devenu encore plus dangereux. Des avions cargo décollent et atterrissent la nuit sur la seule piste de l’aéroport de Bierset qui par vents dominants les amène à survoler la centrale hutoise.[9] En décollage, des quantités énormes de kérosène sont emportées, en plus parfois des matières dangereuses, explosives et radioactives qui sont une des spécialités de l’aéroport.[10]
Le risque c’est également accru avec l’entreposage des déchets nucléaires dans un bassin de refroidissement très fragile à Tihange et dans un parc à conteneurs nucléaires dans les deux centrales. A Tihange, ce parc à un toit de 0.8 m de béton alors qu’en Allemagne une structure semblable, loin des aéroports, est coiffé de 2m de béton armé.
Contraintes internes
Il y dans le vieillissement des installations industrielles trois types de vieillissement à l’œuvre. Le plus évident est le vieillissement physique, l’altération des structures, des systèmes et des components. Les piscines de refroidissement pleines de chaque réacteur, la piscine centrale de refroidissement à Tihange, les deux parcs à containeurs à sec : toutes ces installations vulnérables en dehors des zones bunkérisées ont un potentiel destructeur immense. Ces installations font croître le risque : à la conception l’évacuation des déchets vers un stockage définitif était prévue.
Mais il y a aussi le vieillissement non-physique : le vieillissement de la conception et de la technologie mises en œuvre. Finalement, il y a la perte du know-how par le vieillissement et le départ du personnel qualifié.
Le vieillissement se mesure aussi dans la perte générale de fiabilité. Le parc nucléaire belge a pulvérisé les records en la matière en 2017 avec une indisponibilité de 25%, la moyenne mondiale étant de 4%. Des « précurseurs », des incidents qui auraient pu mener à une catastrophe, se sont succédé, autant d’avertissements.
Vieillissement physique
Les réacteurs belges ont été construite pour fonctionner pendant 3 décennies. En reprenant une partie des marges d’erreur et de précaution, l’exploitant a convaincu en 2003, que les réacteurs pouvaient supporter 40 ans, moyennant des travaux et des contrôles. L’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) était le chien de garde de cet accord : il devait veiller à la sécurité de la population. Malheureusement, l’AFCN a lamentablement échoué à se tâche. La direction de l’organisme par M. Jan Bens, un homme très lié à la sphère Electrabel où il a fait carrière pendant 30 ans. Son prédécesseur à l’AFCN sortait également de chez Electrabel. Pourtant, tous les textes de référence font état de l’obligation d’une instance de contrôle indépendante. En Allemagne, le contrôleur dépend du ministère de l’Environnement, en Belgique de l’Intérieur. Et la personne attachée au cabinet du Ministre pour superviser l’AFCN y est traditionnellement détachée temporairement de l’AFCN. L’indépendance est loin ! Il faut donc remplacer tout le sommet de l’AFCN en charge de l’électronucléaire et le remplacer par du personnel compètent, peut-être en provenance de l’Allemagne.
Un autre problème est le financement de l’AFCN : en fermant 5 réacteurs en ’25, le financement de l’AFCN, prélevé sur ENGIE, diminuera de 5/7°. Le travail de vérification de la qualité des installations nucléaires sera cependant énorme, avant de pouvoir donner un feu vert pour prolonger deux réacteurs. Qui va payer ?
Qui va contrôler l’AFCN ? Une société possédant les deux réacteurs prolongés serait créée entre l’Etat et ENGIE. En même temps, l’Etat est sensé contrôler l’AFCN par le biais du ministère de l’Intérieur. Celui-ci devient juge et parti, source d’un estompement des normes dans un domaine où cela ne pardonne pas.
Le démontage de la cuve du réacteur de Doel 3 devrait permettre de prouver définitivement la gravité et la définition précise des défauts, jusqu’à 40 par dm³ (=1 litre), qui auront affaibli cette cuve et celle de Tihange 2, une barrière de sécurité méga-importante. Entretemps, la cuve aura servi pendant des années sans que l’exploitant ne puisse prouver sa solidité, ce qui devrait entrainer la mise hors service. C’est la faillite de l’AFCN en pratique.
Il est impensable, mais très possible, que ENGIE essaie d’imposer à Mme Van der Straeten que le contrôle de certains composants se fasse de façon « light ». L’attachement dont Mme Van der Straeten a fait preuve par rapport à ses principes est tel qu’il est tout à fait possible qu’elle cède sur cette question également, si un contrôle efficace sur les négociations Engie/Belgique n’est pas ou insuffisamment établi. A ce jour, ces négociations sont secrètes….Il faut au moins une commission de contrôle de ces négociations dont les partis de l’opposition antinucléaire fassent également partie, à défaut d’un débat citoyen fédéral sur l’avenir électrique du pays.
L’étanchéité des bâtiments de confinement
La dernière barrière entre nous et la radioactivité est le bâtiment du réacteur, le confinement. C’est ce bâtiment qui a sauvé Anvers du désastre lorsqu’un tube de la partie nucléaire de Doel 1 a cédé. Malheureusement, la solidité de ces confinements des réacteurs belges n’a pas été contrôlée convenablement. Aux USA et en France, pour des réacteurs semblables, le test d’étanchéité s’effectue à 5 bar de pression d’air dans l’enceinte, la pression calculée en cas d’accident. En Belgique, cette pression calculée a été ramené arbitrairement à des pressions entre 2.86 et 3.1 bar. Mais la pression de test utilisée est encore plus basse, elle est légèrement supérieure à la MOITIÉ de cette pression et le critère de fuite (% de l’air qui s’échappe) a été recalculé « à la tête du client », réacteur par réacteur. Le bâtiment de Tihange 2 a été contrôlé à 1.6 bar (pression du test en juin 2015), la pression en cas d’accident étant recalculée à 3 au lieu de 5 bar.[11] Ceci alors qu’il a été prouvé que le béton employé a très mal supporté l’humidité dans les bâtiments techniques attenants.
Si un test aussi crucial et aussi facile est bâclé, qu’en est-il du reste du matériel ? Tout a été conçu pour durer 30 ans : manomètres, soupapes, vannes, cuves auxiliaires…Les fournisseurs d’antan connaissaient les normes exigées par l’industrie électronucléaire. De nombreuses firmes ont disparu ou livrent du matériel de moindre qualité. Pour d’autres pièces, les exigences actuelles ne correspondant pas à la conception, mais le nouveau type de pièce n’est pas compatible avec l’installation.
Finalement, il faut relever l’expression ALARA (As Low As Reasonably Achievable – (risque) aussi bas que raisonnablement atteignable) qui apparaît dans les documents de référence. C’est là que la finance pointe son vilain nez. En pratique, l’exploitant prévoit un budget annuel « maintenance » et présente la liste des objectifs raisonnables atteignables en restant dans ce budget au contrôleur qui appose son cachet après des modifications mineures. Il faut être raisonnable, n’est-ce pas ?
Vieillissement non-physique
C’est le vieillissement relatif dû à la conception des réacteurs il y a 50 ans ou plus. Les nouveaux réacteurs sont munis de nouveaux systèmes de sûreté. Par exemple le « corium trap » prévu dans les EPR, le nouveau type de réacteur d’EDF-Luminus : le cœur fondu du réacteur en déperdition serait libéré dans une cavité ultra blindée et y serait neutralisé en sécurité. Modifier un réacteur belge pour intégrer cette amélioration de la sûreté est impossible.
Il s’agit également de la conduite des réacteurs : ils ont été conçus à l’aide d’ordinateurs utilisant des cartes perforées et en analogique. La conduite digitale présente des avantages importants, mais la migration s’avère extrêmement difficile si les normes de sécurité sont respectées. En effet, il faut remplacer toute la chaîne d’information, des capteurs à l’affichage, en répliquant les alarmes et les réactions automatiques au niveau de la conduite du réacteur.
Les modifications de l’environnement entrent également dans cette catégorie : érection d’installations dangereuses dans le voisinage, survol par des avions « heavy » bourrés de kérosène en phase de décollage…
La perte du know-how
Le « savoir-faire » peut être tant bien que mal transcrit dans des procédures. Mais dans le temps imparti par une crise nucléaire, un dixième de seconde par exemple, il faut un personnel très qualifié et expérimenté qui peut prendre la bonne décision sans se référer au manuel. Il y a donc une part de « savoir-pourquoi » que l’ancienne génération a du mal à transmettre, pour autant que c’est le but de chaque ingénieur. Or, cette génération est partie ou en partance. Et les meilleurs jeunes tirent également leur référence, en voyant la filière nucléaire se réduire à zéro ou à deux réacteurs. ENGIE a été contraint d’offrir une prime équivalente à une année de salaire à celles et ceux qui restent à son service.
En outre, le personnel est souvent lassé d’exécuter jour après jour les mêmes tests et vérifications avec le même résultat, parfois en travail posté pendant des dizaines d’années. L’attention se dégrade forcément, nul ne peut être tenu à l’impossible.
Le rôle des populations
Les textes de références s’accordent pour écrire que les populations concernées doivent participer aux décisions pour construire ou modifier en profondeur les réacteurs nucléaires. En outre, ce droit est inscrit dans les traités d’Aarhus[12] et Espoo[13], que la Belgique a adopté.
En pratique, les gouvernements belges n’en n’ont pas tenu compte, tout simplement. Il a fallu que Greenpeace et d’autres gagnent une longue et coûteuse procédure devant la Cour Constitutionnelle pour qu’ENGIE se voit imposer une Enquête Publique concernant la prolongation de Doel 1 et 2. La procédure a pris tellement de temps que la publication des résultats de cette Etude d’impact environnemental (EIE) coïncidera avec la fermeture des deux réacteurs cinquantenaires périmées depuis vingt ans. Mais pour la prolongation de Doel 4 et Tihange 3, il faudra imposer une enquête publique sérieuse, décisive et précédé de débats de fond.
Il est important que les associations qui en ont les moyens se saisissent des tribunaux pour empêcher ou ralentir le plus possible la reprise de l’activité des 2 réacteurs. Mais il ne faut pas négliger le rôle d’une mobilisation de masse, comme nous avons connu lors de la construction des réacteurs, indépendamment de toute manipulation des associations non- ou paragouvernementales ni par le sectarisme qui anime certaines organisations proches des partis qui se déclaraient antinucléaires il n’y a pas si longtemps. Une telle mobilisation de citoyens équilibrerait l’influence sur le tribunal du lobby nucléaire.
Les déchets
Au bout du compte, il restera les déchets. Il faut se prendre pour un dieu -ou un diable- pour lancer une industrie dont les déchets dangereux subsisteront pendant des milliers de siècles. Il fallait évidemment régler ce problème avant de poser la première pierre, ou renoncer au projet.
La politique libérale a lancé la machine lucrative et a fait confiance aux progrès technologiques pour le reste. Les ecomodernistes répètent cet argument 50 ans plus tard, ils y perdent ainsi toute crédibilité résiduelle.
Pour régler le problème des déchets, il faut commencer par en arrêter la production. Prolonger de dix années, c’est créer dix années de barres de combustible en plus, dont on ne sait que faire. Via le partenariat privé-public créé pour posséder les réacteurs prolongés, Electrabel voudrait probablement refiler les coûts des déchets aux contribuables belges, après avoir engrangé €1million par réacteur par jour ouvrable.
Conclusions
Le projet de prolonger deux réacteurs ne peut pas avoir lieu pour différentes raisons.
La première est que le Royaume ne peut pas devenir une république bananière, au pied d’une multinationale française. Si les négociations sont secrètes, c’est que nos représentants, Van der Straeten et De Croo, travaillent à un accord avec ENGIE qui sera défavorable aux citoyen.nes de ce pays.
Sans accord, plus d’électricité ? Pour éviter ce chantage, il y a deux solutions radicales. La première est de nationaliser le secteur de la production d’électricité, sauf les coopératives citoyennes. Cette revendication était formulée par la résistance après la guerre, et est toujours inscrite dans la déclaration de principe de la CGSP. La France, sous Macron qui n’est pas un taliban écolo-gauchiste, pense que la nationalisation d’EDF devient inévitable
La deuxième solution est de regarder le côté « demande » de l’équation. Qui utilise le courant pour quoi faire ? En suspendant pendant quelques jours ou quelques semaines l’activité de quelques installations grands consommatrices, qui fabriquent parfois des marchandises inutiles ou même nuisibles. Est-ce que le monde qu’on veut a besoin de toutes ces munitions, tous ces plastics ? Les ménages, souvent pointées du doigt, ne consomment qu’un tiers du courant, le reste va à l’industrie et à l’exportation.
En outre, nous avons montré que la prolongation de deux réacteurs est superflue, selon un rapport de la CREG (note 7). Et qu’il ne faut même pas construire deux nouvelles centrales à gaz sans prolonger le nucléaire.
Finalement, le danger que les populations dans le grand voisinage des centrales courent est devenu inacceptable à cause des changements dans l’environnement des réacteurs (zone du port d’Anvers, aéroport de Bierset), de l’incapacité de l’AFCN à contrôler le nucléaire et du vieillissement des installations elles-mêmes : bâtiments non-étanche, vieillissement de l’informatique, disparition des fournisseurs, perte du know-how, départ et vieillissement du personnel qualifié.
Leo Tubbax pour Nucléaire Stop Kernenergie, le 6 août 2022.
[1] https://etaamb.openjustice.be/fr/loi-du-31-janvier-2003_n2003011096.html. Art. 9, dont le texte a été repris dans la déclaration gouvernementale De Croo
[2] Le Soir 28/4/2018
[3] Jugement de la Cour Constitutionnelle du 29.07.2019 après avis de la Cour Européenne
[4] La Libre Belgique du 27/7/22
[5] https://www.synatom.be – télécharger le rapport annuel le plus récent. 2020 p.11
[6] Belga, 7 juillet 2022
[7] https://www.creg.be/fr/publications/proposition-e2064 PDF p.24
[8] https://www.rd.nl/artikel/693135-burgemeesters-bezorgd-over-kerncentrale-doel
[9] https://www.sortirdunucleaire.org/La-vulne%CC%81rabilite%CC%81-des-centrales-nucle%CC%81aires par John Large & Associates, client Greenpeace 2014
[10]https://www.challenge-handling.be/expertise/fr-matieres-dangereuses/
10 Message électronique de l’AFCN à l’auteur (Sylvain Jonckheere@fanc.fgov.be du 29.05.18 à 9.33h
[12] https://unece.org/fileadmin/DAM/env/pp/documents/cep43f.pdf art. 6
[13] https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVII-4&chapter=27&clang=_fr ; Annexe 1, Art.1(v)